Descendant d’une ancienne famille de luthier de Mirecourt depuis le XVIIème siècle, Jean-Baptiste Vuillaume (1798-1875) est, on le sait, l’une des personnalités les plus marquantes du monde de la lutherie du XIXème siècle. Formé à Mirecourt, sa ville natale, il arrive à Paris en 1818. Selon Les frères Hill, Vuillaume doit principalement sa notoriété à ses remarquables copies de Stradivarius, Guarnerius, Amati, Maggini, dont nombre d’entre elles sont reconnues comme de véritables chefs-d’œuvre. Entrepreneur de génie, Vuillaume fût l’un des premiers luthiers à établir des certificats d’authenticité aux instruments. Il a su s’entourer des meilleures « mains » de son temps, tant dans le domaine de la fabrication d’instruments que dans celui de l’archeterie (Persois, Pecatte, Maire, Henry, Maline, etc.). Hormis ces fameuses « inventions » (l’octobasse, le contralto, l’archet en métal creux, ou encore ses autos-portraits miniatures insérés dans les grains de ses hausses d’archet), son immense production (plus de trois mille instruments) inclut autant d’instruments qu’un nombre conséquent de quatuors constitués (tels les célèbres « évangélistes », ou les trois quatuors ornementés qu’il réalisa pour le comte Doria, le Prince Caraman de Chimay et le comte Sheremetev).
La principale source d’inspiration de ses violoncelles prend appui sur deux modèles de Stradivari (le « Servais » et le « Duport »). Les deux instruments ici proposés renvoient à deux périodes distinctes de la production du maître parisien : Le premier, non daté, et réalisé vers les années 1835, s’inscrit encore dans la ligne de ceux dont les vernis étaient réalisés en copie d’anciens. Il relève esthétiquement de la première période du luthier. Quant au second, mieux documenté, il a été effectué en 1849 et porte le n° 1843. Il possède en outre la célèbre marque au fer de 7mn à son nom.
Attardons-nous à situer ces deux violoncelles dans leurs contextes historiques et culturels respectifs. Notons d’emblée que les évènements politiques qui soulevèrent la France à cette époque troublée ne semblent pas avoir eu une influence quelconque sur la longue carrière et la production de J. B. Vuillaume. Ni la révolution de 1830, celle de 1848, le coup d’état de 1851 et même la guerre de 1870 ne semble avoir ralentit la dense activité de l’atelier. Dans les années 1835-1840, Paris s'industrialise et, c’est sous le règne de Louis-Philippe que notre luthier participe, à sa manière, à ce mouvement novateur. Signalons en passant que cette période demeure relativement floue quant à la numération de ses instruments. Dans son ouvrage, R. Millant rappelle qu’à cette période, l’activité de l’atelier est très dense et que nombre d’instruments n’ont pas été numérotés (c’est le cas du premier violoncelle présenté).
Cet instrument, aux caractéristiques sonores exceptionnelles, a appartenu à Gérard Hekking. Né le 24 juillet 1879 à Nancy, Hekking fût, de 1903 à 1914, l’un des violoncellistes solo de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam. Dédicataire de la seconde sonate de G. Fauré, cet artiste de talent enseigna de 1927 à sa mort au Conservatoire de Paris, ou il eut notamment parmi ses élèves Pierre Fournier, Maurice Gendron, Paul Tortelier, Reine Flachot et bien d’autres… Gérard Hekking, qui meurt à Paris en 1942, à l’âge de 62 ans, lègue son instrument quelques mois avant sa mort à l’un de ses élèves (l’actuel propriétaire). Notons, incidemment que ce violoncelle a été joué par M Rostropovitch (cf. photos).
Quand au second violoncelle, il est daté de l’année 1849. Il naît dans un contexte bien particulier. En effet, au mois de Mars de cette année, Paris est frappé par une vaste épidémie de cholera qui, en six mois, décime plus de seize mille personnes. Dans la sphère artistique, l’année est marquée par le décès, à Paris, de Frédéric Chopin à l'âge de 39 ans. La période 1848-58 va s’affirmer pour Vuillaume, comme l’une des plus fécondes de sa longue carrière. Il participe à l’exposition nationale de Paris en 1849 et reçoit cette même année la croix de la légion d’honneur. Il collabore à L’exposition des produits de l’industrie du mois de juin, ou il présente sa fameuse octobasse. Il y expose également ses quatuors en copie de Maggini et Stradivari, qui sont de vrais succès, au point que, dit-on, « ils embarrassent les artistes les plus expérimentés sur leur authenticité » (Milliot, 2006 : 134). 1849 est également l’année du mariage de sa fille Jeanne-Emilie avec Delphin Alard, violoniste réputé et professeur au Conservatoire. Au plan musical, rappelons que l’année 1849 est marquée par la création d’œuvres remarquables du répertoire soliste du violoncelle. On pense à celles de Robert Schumann, comme les Fantasiestücke, Op.73, l’Adagio and Allegro, Op.70 (originellement pour cor, mais largement jouée au violoncelle) ou encore les cinq pièces dans le style populaire (Stücke im Volkston).
Le second violoncelle proposé à la vente est inspiré du célèbre Stradivarius de 1711, le « Duport », dont on rappellera que ce dernier avait été commandité par un amateur lyonnais, puis joué par le célèbre Duport et cédé ensuite par son fils à Auguste Franchomme. Le format de cette copie exécutée par Vuillaume est conforme au patron B de l’original de Stradivari. Il est intéressant de noter qu’en 1843, c’est, sur les conseils du violoniste Alard, son partenaire de quatuor, et époux de la fille de Vuillaume, que Franchomme acquiert le fameux Stradivarius dont le maître parisien va s’inspirer pour réaliser cette copie en 1848. Il n’est donc pas impensable d’imaginer que cet instrument soit également passé par les mains du virtuose parisien.
Franck Bernede
Références
Millant, R. (1972) J. B. Vuillaume : sa vie et son œuvre, Londres, W.E. Hill & Sons, 207 pages.
Milliot, S. (2006) Histoire de la lutherie parisienne du xviiie siècle à 1960: Jean-Baptiste Vuillaume et sa famille, Nicolas, Nicolas-François et Sébastien Vuillaume, vol. 2, t. 3, Spa Les Amis de la musique, 568 pages.
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